Ce billet a initialement été publié dans ma newsletter de décembre 2023.
« J’ai un teint de poubelle. »
Mylène Farmer (L’Instant X)
Ces temps-ci, mon obsession s’articule autour du portrait. Le portrait posé et mis en scène mais en mode serré, voire buste. C’est un exercice dans lequel je n’excelle pas du tout (à vrai dire je n’excelle nulle part et ça me va) et j’aimerais bien sortir des trucs potables. Je sais photographier les gens dans un environnement donné, dans un contexte de photo de rue ou lors d’un événement, mais l’aspect artistique du portrait me pose problème. Et le rendu cyanotype est, à mon sens, plus difficile qu’en photographie “traditionnelle” (des gros guillemets, hein).
Tirer le portrait d’une personne dans le cadre d’une séance photo demande quelques particularités dont le facteur commun est la réflexion. Réfléchir au cadre, à l’attitude du/de la modèle, à la lumière, etc. Ça va à l’encontre de ma nature. Je suis plutôt spontanée, l’organisation m’angoisse et je suis du genre à ne pas lire la consigne en entier avant de faire l’exercice. L’appréciation universelle des profs au cours de ma scolarité ? “Lucie manque de rigueur.” En plus, il faut des idées. Je ne pense pas en manquer mais j’ai du mal à les mettre en application, c’est ce qui me fait douter de ma place dans le monde des créatif·ves.
Il y a quelques semaines, à travers quelques stories sur Instagram, je disais que je n’étais pas une artiste et que je me considérais davantage comme une technicienne et une artisane. En fait, le sujet est presque trop complexe pour être évoqué à la va-vite comme je l’ai fait. On se définit comme on veut si tant est qu’il faille le faire. En matière de photographie, j’ai fait les constats suivants :
Je capture l’existant.
Parfois, je le transforme et ça va d’une simple retouche cosmétique au collage assumé.
Je suis observatrice, j’aime repérer les détails, être au bon endroit au bon moment.
Je collectionne les souvenirs et les nostalgies, et je fabrique d’autres collections.
Je me sens perfectionniste mais ne recherche pas la perfection. Je fais attention au cadrage, aux lignes, à la lumière mais j’aime la réalité. Par exemple, je corrige assez peu la peau de quelqu’un. Par idéologie et aussi parce que je m’entraîne beaucoup sur moi-même. La peau de mon visage a pris son indépendance il y a bien longtemps, autant dire que je passerais un temps fou dessus et j’ai la flemme. Nous existons.
Il m’arrive de me tromper. Il m’arrive de me demander si je me trompe et de ne pas avoir la réponse.
Je n’ai pas vocation à révolutionner le game, tout a déjà été fait et je ne cherche pas à plaire à tout le monde.
Je suis dure avec mon travail et j’en ai conscience. Cependant, je montre ce que je rate, ce qui ne me convient pas et j’explique pourquoi. J’ai essayé de lâcher prise pour un tirage cyanotype qui est actuellement dans ma boutique mais en vérité, je ne l’aime pas (je ne vous dirai pas duquel il s’agit).
Je kiffe juste prendre des photos, et ce depuis que j’ai 8 ans.
Avec tout ça, j’ai de la peine à me trouver une case. Aussi j’ai décidé de ne pas me définir. Quand je présente mon travail autour du cyanotype, je dis que je suis artisane photographe parce qu’il faut se donner un titre et que je n’ai pas envie d’y passer des plombes. On peut me voir comme une artiste, une artisane, une photographe ou rien de tout ça, je n’en fais pas un problème parce que je m’en fous. Je serai d’accord avec tout et je changerai peut-être d’avis un jour, ou pas, je laisse l’évolution faire son travail. Moi je fais des images et parfois je les développe, toute la dimension philosophique autour ne m’appartient pas vraiment. Suis-je trop terre-à-terre ?
Si ça se trouve, le portrait tel que je l’imagine n’est pas une pratique faite pour moi. Je suis tellement fan des autoportraits de John Dugdale et des regards qui transpercent le collodion humide que je n’arrive plus à prendre de distance.
Comme je le disais, je m’entraîne beaucoup sur ma pomme pour une raison très simple, je suis à ma disposition. Le 12 décembre, j’ai réalisé un petit shooting rapide à la lumière naturelle avec pour but de sortir une série en noir et blanc tout en gardant une photo de côté pour être développée en cyanotype. J’avais un scénario en tête mais il y a eu surtout beaucoup d’improvisation (sans déconner…) et ça a donné ça :
Version cyanotype :
J’explique le thème de ces photos sur Instagram. Bilan des courses, je suis plutôt contente de mes photos en noir et blanc. Je trouve que j’ai bien géré la retouche, même si elle est infime : j’ai réglé les hautes lumières et les blancs, corrigé l’exposition, viré les reflets malheureux dans mes lunettes auxquels j’ai cru avoir fait attention pendant la prise de vue (la fenêtre et l’étendoir à linge…) et j’ai à peine touché à ma peau parce que j’ai eu l’idée de génie de me maquiller. Je suis mal coiffée mais ça, c’est l’histoire de ma vie, donc à moins de renaître avec une nouvelle génétique, c’est foutu pour cette vie.
Pour la version cyanotype, mes réglages ont été un peu différents. Je ne pousse pas autant certaines commandes pour un rendu numérique. Je voulais limiter les aplats de bleu, ces zones foncées où les détails disparaissent. La perte de détail fait partie du jeu dans le cyanotype, c’est même un truc qui m’arrange souvent. Je suis en train de comprendre que pour le portrait, la musique n’est pas la même. Dans le cas qui nous occupe ici, j’aurais dû éviter de m’habiller en noir (c’est la couleur qui prédomine dans mon dressing, je ne suis pas sortie du sable) et teindre mes cheveux en blond. Ou alors j’aurais pu ajouter une source de lumière. De plus, on ne sait pas où je regarde alors que je fixe l’objectif, on le voit bien sur la version numérique. La question est la suivante : dois-je vraiment corriger tous ces détails ou bien dois-je laisser la part de hasard l’emporter et m’en satisfaire ? Je pourrais aussi juste recadrer de manière à créer un plan vraiment très, très, très serré sur mon visage (sachons profiter d’un jour sans acné).
Prendre des décisions, encore et toujours.
Enfin je n’ai pas dit mon dernier mot et j’ai pour projet de transformer mes copines en cobayes (elles ont dit oui).
Pour finir sur une note positive et surtout sur quelqu’un d’autre que moi, l’année dernière j’ai photographié Fishbach en concert au Stereolux à Nantes. Cette photo a été prise avec mon smartphone de mille ans d’âge, autant vous dire qu’elle est assez dégueulasse. J’en ai fait un tirage cyanotype et j’en suis très contente. Ici la perte de détail a été bénéfique et n’entrave pas le sens de la scène, on comprend ce qui se passe.
Photo d’illustration : Bekah Allmark
Je suis impressionné par ta passion pour la photographie et le cyanotype. Le portrait est quelque chose qui demande certainement beaucoup de sensibilité et de technique. En dessin déjà, c’est un genre fort difficile, et les doutes et l’incertitude sont bien normales quand on explore de nouveaux territoires créatifs. Mais d’une manière générale, la photo est un voyage constant d’exploration et d’apprentissage, et je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise s̶i̶t̶u̶a̶t̶i̶o̶n̶ manière de créer des images. – Ou plutôt si, mais c’est un savoir intérieur, et qui n’est jamais donné à l’avance. En tout cas tu as déjà une vision personnelle de ton art, tu n’as pas besoin de t’enfermer dans une case : tu es ce que tu fais, et tu fais de belles images.
Merci cher Jakob !
Je crois que ce qu’il y a de très cool en photographie, c’est la liberté drastique qu’on peut avoir. N’importe quel·le photographe dira que les règles de base sont faites pour être transgressées (une fois qu’elles ont été apprises et comprises). C’est aussi une forme de piège, puisqu’on peut faire de ce qu’on veut il faut aussi savoir placer le curseur sur l’échelle de ce qui vaut le coup. En tout cas ce n’est jamais évident.
Toujours un plaisir de te voir traîner par ici 🙂