Deux gros événements se sont tenus mi-avril avec seulement cinq jours d’écart et leurs préparatifs ont rythmé mon début d’année. J’ai laissé passer quelques jours avant d’écrire cet article de blog parce que j’avais besoin de décanter. Beaucoup. Par conséquent, le texte sera long, navrée pour la culture de l’immédiateté.
Ces événements ont été en lien avec mon activité d’artisane photographe et de mon projet cyanotypique, comme on peut s’en douter. Le premier était un marché de créateur·rices (dimanche 14 avril, toute la journée) et le second était une exposition éphémère dans un bar (vendredi 19 avril, toute la soirée). Je n’avais jamais montré mon travail physiquement à des inconnu·es, jamais en dehors d’Internet et des réseaux sociaux. C’étaient donc mon premier marché et ma première expo.
La préparation du marché
Je fais partie d’une association qui regroupe des artisan·es de mon département, Les Créateurs de Vendée, et c’est elle qui a organisé le marché, son premier marché à elle aussi (l’asso est jeune). Il s’est tenu au parc des expositions de La Roche-sur-Yon et nous étions 74 exposant·es. C’était à mi-chemin entre le salon et le (gros !) marché de créateur·rices. Je me suis engagée dans l’aventure début janvier et elle a été le centre de mes préoccupations jusqu’au jour J. Durant ces trois mois et demi, je suis passée par tous les stades. De la réflexion à l’exécution, en passant par de grosses remises en question. J’ai cessé de cogiter tout début mars et me suis mise au travail de façon concrète. J’ai développé un lot de tirages dans mes deux formats de prédilection, avec quelques exclusivités, et j’ai réalisé quelques encadrements uniques sur mesure.
Si chacun de mes cyanotypes est unique car c’est leur essence même, j’ai sélectionné des images en particulier qui ont été disponibles sur ma boutique en ligne un temps ou pas forcément, après avoir chiné quelques cadres par-ci, par-là. Si j’ai pris en compte les aspects upcycling et ancien/vintage de la chose, il y avait aussi une dimension économique. Je suis perpétuellement fauchée, je ne vis pas de mon art, je n’avais donc pas la possibilité d’avancer une grosse somme pour préparer l’événement (j’ai dépassé mon prévisionnel quand même). Qu’à cela ne tienne, j’ai retroussé mes manches et réparé ce qui devait l’être. J’ai trouvé de très beaux cadres. Tous ont subi un gros nettoyage et j’ai refait le dos et la fixation de la majorité d’entre eux. J’ai pris le temps de les mesurer puis de les classer méthodiquement afin de réfléchir à quels cyanotypes leur iraient le mieux. J’avais des négatifs en magasin et j’ai créé d’autres choses exprès pour ces encadrements. C’était fastidieux, certains m’ont donné du fil à retordre, mais j’ai aimé le processus. Chaque cadre était différent, chaque tirage unique, donc chaque pièce aussi.
Certain·es ont trouvé que j’avais commencé mes préparatifs de bonne heure. Je suis une personne très désorganisée, j’ai un mal fou à rester concentrée et je souffre d’une anxiété stratosphérique, je vous assure que j’ai bien fait de m’y mettre tôt. C’est bien la première fois que je joue le rôle de la fourmi, d’ailleurs. Tout était prêt à temps, ce qui m’a permis de réduire considérablement mon stress.
Le jour J
Je suis ravie que ce marché se soit tenu sur une seule journée. J’ai fini sur les rotules, je ne me serais pas vue recommencer le lendemain. D’autant que je n’avais pas l’intention de participer un jour à un marché. Ça ne m’intéressait pas du tout. En réalité, ça ne m’intéresse toujours pas, mais j’ai fait une exception de très bon cœur pour ce marché-là et je n’ai aucun regret. Je recommencerai s’il doit y avoir une deuxième édition avec cette asso que j’apprécie.
Pour ce 14 avril, je n’avais pas d’objectif de vente, n’ayant pas de point de comparaison, mais j’espérais évidemment faire un carton. Ça n’a pas vraiment été le cas et j’ai été déçue sur le plan financier. Cependant, mes sentiments restent ambivalents. Parce que l’événement en général a eu un bon accueil. Concernant mon stand, j’ai reçu à la louche 98 % de commentaires positifs. Le pourcentage restant concerne cette vieille dame qui a marmonné à sa camarade que mes œuvres étaient trop chères (je sais lire sur les lèvres, pas de bol), et une autre a dit que « tout le monde fait des trucs bleus ou verts comme ça, là » et je n’ai pas compris où elle voulait en venir. Le reste n’a été que surprise et curiosité. J’ai donc expliqué mon procédé bon nombre de fois, au point d’en perdre mon latin par moments. J’ai eu affaire à trois catégories de personnes : les newbies complets (beaucoup de retraité·es), celles et ceux qui connaissent voire pratiquent la cyanotypie sous forme de photogramme (ce que je ne fais pas), et enfin des photographes qui pratiquent l’argentique. J’ai rempli plusieurs fois ma coupelle à cartes de visite. Toutefois, les retombées sont inexistantes. Pas d’abonnement sur Instagram ni d’inscription à ma newsletter, pas plus de visite que ça sur mon site et les quelques mails reçus concernent des sollicitations impersonnelles pour des marchés départementaux (ou limitrophes) à venir.
Malgré cela, il y avait une excellente ambiance sur le marché tout au long de la journée. Mes voisin·es de stand étaient supers, des ami·es et connaissances se sont déplacé·es, c’était réjouissant sur le plan humain.
Puis arrive l'expo
La semaine qui a suivi, j’étais déglinguée. L’épuisement, tout simplement. Une fatigue à la fois physique et mentale avec un soupçon de découragement. J’avais encore mon expo à préparer et je ne pouvais déjà plus voir mes cyanotypes en peinture. Toutefois, ma sélection était prête, je n’avais plus qu’à développer dix tirages de ma série sur La Roche-sur-Yon et j’ai acquis des cadres neufs, épurés et modernes en bois clair, tous au même format (18 x 24 cm).
L’exposition était éphémère et en partenariat avec deux DJ qui évoluent dans la même radio associative que moi, c’était très sympa. Je n’avais pas encore eu l’occasion de fréquenter le bar où l’événement s’est déroulé car il a été fraîchement repris. J’ai découvert un lieu très ouvert à l’art et tenu par une vingtenaire volontaire, faisant ainsi de notre occasion un événement féminin, ce que j’ai fortement apprécié même s’il n’a pas cherché à l’être.
C’était donc une belle soirée, le bar était rempli de ses habitué·es mais, à part la présence de mon conjoint et la visite rapide d’une amie, je ne connaissais personne. Je suis venue avec mon appareil photo pour immortaliser quelques âmes et quelques moments, ça me fait toujours plaisir et ça me permet aussi de me donner une contenance. Et puis j’ai dû présenter mon travail au micro. J’ai répété plusieurs fois dans ma tête ce que j’allais dire mais c’est de la bouillie qui est sortie de ma bouche. J’ai oublié des détails essentiels et je voulais m’enfoncer sous le carrelage. J’y ai repensé pendant plusieurs jours.
J’ai discuté avec un client du bar qui m’a demandé si j’étais de la ville et j’ai répondu par l’affirmative. Il m’a dit : « Tiens, c’est marrant, je ne te connaissais pas du tout. » Et ça, les gars, c’est l’histoire de ma vie. Même s’il peut subsister un doute quant au fait de connaître chaque artiste ou chaque acteur·rice du milieu culturel dans une ville de 55.000 habitant·es.
Conclusion
J’ai tiré quelques leçons à propos de tout ça. La première, si jamais j’en doutais, est que je suis définitivement une personne introvertie. Je ne me crois pas vraiment timide mais l’anxiété peut laisser penser que si. J’ai eu beaucoup moins de problèmes à parler aux gens sur le marché qu’à présenter ma photographie devant plusieurs dizaines de personnes en arc de cercle devant moi.
J’évolue dans le milieu associatif et culturel de ma ville depuis 2015 et je ne connais pas tout le monde mais j’identifie beaucoup de personnes. Je ne suis pas de toutes les soirées mais je vois souvent les mêmes têtes. Je crois sincèrement que personne ne me (re)connaît. L’épisode cité plus haut, bien que plus normal, n’en est qu’un parmi d’autres, je me suis déjà présentée plusieurs fois à une même personne qui ne me remettait pas. Et par là, je parle davantage de mon activité associative, il est normal de ne pas connaître mon travail photographique en l’état. Dans ce contexte, ça peut parfois être vexant. Mais j’ai un tel besoin de discrétion que je préfère ne pas être vue. Je vous dis ça mais c’est inconscient, même si je contrôle les décibels de ma voix autant que possible (on m’a reproché toute mon enfance et adolescence de parler trop fort) et que j’ai un style vestimentaire passe-partout. Artistiquement parlant, je veux qu’on sache que j’existe et qu’on voie ce que je fais mais je ne veux pas être identifiable si facilement. Est-ce bizarre ? J’aimerais que mon travail se suffise à lui-même. Je n’ai pas envie d’être physiquement là pour expliquer, je veux laisser les témoins de mon travail en penser ce qu’iels veulent.
Parmi les membres du milieu culturel de ma ville, il y a cet homme qui est toujours présent. Il a son art, il l’expose régulièrement et à divers endroits, il fait aussi partie d’une association, tout le monde le connaît et il semble ami avec tout le monde. Je le croise toujours d’une manière ou d’une autre, lui et/ou son art. Je l’ai rencontré plusieurs fois et il devrait, je pense, savoir qui je suis. Il est venu au marché du 14 avril. Il était accompagné, cet homme n’est jamais seul, et une femme de son groupe lui a montré une de mes photos, sur mon stand. Ce cyanotype représente un bâtiment illustre de la ville. Notre homme a brandi la photo en déconnant auprès de ses potes et en manipulant mon œuvre avec assez peu de précautions. J’étais à moins de deux mètres de lui, il ne m’a jamais saluée et m’a tout bonnement ignorée. Je n’ai pas trouvé ça très sympa. Il est aussi venu au bar le soir de l’expo mais il n’était pas là pour ça, c’était évident. La même photo manipulée sauvagement quelques jours plus tôt était accrochée au mur, je ne crois pas qu’il l’ait vue. Cet homme est en représentation permanente et ça a tendance à me gonfler, je constate qu’il est mon exact opposé.
Bref. Ce que je comprends, c’est que les moyens que j’utilise pour m’exprimer, la photographie et l’écriture dans leur grande largeur, ne nécessitent pas de mettre mon corps en scène de façon corporate. Si je peux pratiquer parfois l’autoportrait ou parler à la radio, je considère ça comme une forme de théâtralité. C’est moi mais ce n’est pas moi, c’est un jeu. Mes émotions et mes ressentis sont à l’intérieur de mes productions et je ne veux pas être obligée de les décrire face à un public, que mes intentions soient prosaïques ou poétiques. C’est peut-être juste une question d’entraînement, je ne sais pas, en tout cas je suis une grosse sauvage et j’ai décidé que ça ne devrait pas être un défaut.
Photo d’illustration : Annie Spratt