En octobre dernier, j’ai écrit sur le sujet de la photo de rue et de mon implication en tant que femme. J’ai dit que mon genre me plaçait en position de force mais sans trop développer. J’ai simplement sous-entendu, avec mon expérience de militante féministe sous le bras, que le fait d’être une femme inspire davantage confiance.
Du temps a passé depuis cet article et j’ai acquis de nouveaux éléments. Je vais donc encore parler de photo de rue et de mon genre, je crois que c’est un sujet inépuisable.
Je pratique la photo de rue depuis longtemps mais ça fait à peine une année que je l’ai humanisée. J’ai longtemps préféré photographier la ville, l’architecture, la nature et la nature morte sans jamais me poser la question de la présence humaine. Enfin si, j’évitais les gens et j’ai effacé un certain nombre de personnes grâce à Photoshop. Je ne sais pas ce qui m’a fait changer de perspective mais c’est arrivé avec la montée en gamme de mon matériel.
Ces derniers mois, je me suis abreuvée d’une grande quantité de contenu Internet sur la photo et ça m’a permis de forger ma pensée, de faire le tri, de comprendre ce que j’aime et déteste dans la photo, principalement dans la photo de rue.
Les mecs
Ils sont partout, faut voir. Dans mon article d’octobre, je vous ai montré une capture d’écran de YouTube qui liste tous ces garçons qui s’y connaissent mieux que tout le monde en photo de rue. L’algorithme est fatigant… Enfin il n’y a pas que lui. J’ai co-animé une émission féministe et culturelle pendant huit ans au sein d’une radio associative. En musique, on ne programmait que des femmes, c’était la ligne édito. Au fil du temps, j’ai compris que pour que je me sente représentée hors du male gaze, je devais appliquer le principe qu’Alice Coffin décrit dans Le génie lesbien, c’est-à-dire privilégier le travail des femmes dans une discipline donnée. C’est ainsi que j’ai commencé à lire des bouquins principalement écrits par des autrices. Il est donc naturel que je m’y prenne de la même manière en photographie. J’ai mis plusieurs mois à dégotter des femmes photographes sur Internet quand les hommes photographes nous sautent aux yeux. Elles ne sont pas rares, elles existent, il s’agirait peut-être de ne pas citer que Vivian Maier pour se donner bonne conscience et d’aller au-delà.
Dans cette grande consommation de contenus (je hais ces termes, je préfère le dire) qui fut la mienne ces derniers mois, j’ai vu beaucoup de vidéos sur YouTube, de publications sur les réseaux (Instagram et Threads) et j’ai lu pas mal de trucs sur divers blogs. J’ai ressenti un manque et une surdose à la fois, c’est très bizarre.
Sur YouTube, j’ai sélectionné sept vidéastes-photographes dont les vidéos m’intéressent presque toujours. Peut mieux faire : cinq hommes et deux femmes (Michèle Grenier, photographe québécoise spécialisée dans la technique et la photo de sport, et Lucy Lumen, photographe australienne qui travaille essentiellement à l’argentique).
Sur Instagram, j’ai suivi beaucoup de monde en peu de temps et j’ai désormais la tête qui tourne. Mon feed est inondé de photo de rue, j’en ai marre, ça galvaude complètement la discipline. J’ai suivi autant d’hommes que de femmes et je fais désormais le tri. Je retrouve mes principes : le travail des hommes doit vraiment être incroyable à mes yeux pour que je les garde, les femmes aussi mais je les trouve généralement plus inspirées (le patriarcat les oblige à l’être) alors je les privilégie. Il y a peu, j’ai été invitée par la photographe Ella Kowalska à rejoindre un serveur Discord qui ne réunit que des femmes dans le domaine de la photo de rue et ça m’a fait un bien fou. Il y a d’autres associations de photographes de rue mixtes mais ce n’est pas pareil. Bon, le seul problème est que j’ai un mal fou à utiliser Discord. J’ai du mal à suivre les conversations et ne pense pas toujours à me connecter. Mais le fait que nous ayons besoin de nous réunir en non mixité ou en mixité choisie pour nous soutenir entre nous traduit bien le manque.
Ma pratique
Avec tout ça, j’ai appris à cerner mes attentes, aussi bien en tant que pratiquante qu’amatrice du travail des autres. Ce qu’il y a de bien dans la photo de rue, c’est qu’elle devient vite décomplexante. Nous, qui ne sommes pas des hommes cis, blancs, hétéros et valides, devons revêtir la confiance qu’ils arborent. On est presque trop humbles. Si ces gars-là osent montrer leur travail pas ouf sur Internet et se comportent comme des artistes incroyables, pourquoi pas nous ?
Bref, voici où j’en suis en photo de rue. Je rappelle que cette liste est subjective et je la complèterai peut-être au fil du temps.
- Je n’aime pas l’utilisation du flash.
- J’ai horreur de l’intrusion. Coller son appareil photo juste devant le visage d’un·e passant·e, avec ou sans flash, est un red flag absolu. Dans ma pratique, il y a et aura toujours une distance de sécurité, quitte à zoomer.
- Je n’ai pas envie de demander aux gens de poser pour moi, je préfère attendre de voir ce qu’iels vont faire.
- Je n’aime pas les contrastes trop marqués (en couleur). Il peut y avoir des jeux d’ombre avec des noirs bouchés et ça me fait mal aux yeux.
- Je suis dubitative quant à l’utilisation exclusive du noir et blanc.
- Je n’aime pas la photo de rue en groupe. Je préfère la jouer cavalière seule. Dix personnes et dix appareils en train de shooter ensemble ne sont acceptables que si elles descendent d’un car en promenade touristique.
Des comptes à suivre
Avec tout ce dont je viens de vous parler, si vous utilisez Instagram et que la photo de rue vous intéresse, je vous encourage à vous abonner aux comptes suivants et grâce auxquels vous trouverez plein de femmes qui méritent d’être vues. Liste non exhaustive :
Photo d’illustration : Annie Spratt